« Fais pas ça tu vas t’abîmer le dos ! ». Cette phrase que vous avez peut-être déjà entendue est presque devenue un automatisme pour certains. C’est comme la correction des fautes d’orthographe et de grammaire sur les réseaux sociaux, un besoin viscéral de rappeler quelle est LA bonne manière de soulever dès qu’on voit quelqu’un se pencher. Et pourtant, la bonne manière de soulever est loin d’être aussi évidente que ça. Déjà en 1979, des articles scientifiques venaient critiquer cette injonction (1).
Tous les jours, vous pouvez voir des personnes conseiller le secret miracle pour éviter ou guérir du mal de dos. Certains publient sur les réseaux sociaux, certains écrivent des livres, font des vidéos,… Et quelle surprise ! Ces personnes ont trouvé une nouveauté, jamais conseillée auparavant : « Gardez le dos droit ! ». Vous aurez sans doute compris le sarcasme, ce conseil qui résonne depuis presque un siècle depuis longtemps faillit à enrayer la pandémie de maux de dos frappant la planète.
Dire aux personnes de plier les genoux et de porter en gardant le dos droit ça ne fonctionne pas pour diminuer le risque de mal de dos. Cela peut paraître étrange, mais ce conseil inscrit dans la conscience collective depuis des décennies ne semble pas avoir d’incidence. En fait, depuis 2005, plus aucune revue publiée ne trouve d’effet positif des formations ergonomiques (2).
Pire, une étude trouvait même qu’ajouter de l’éducation ergonomique à un programme d’exercice n’avait pour seul effet que d’augmenter le risque d’arrêt de travail (3).
Dans cet article, nous allons explorer les raisons qui pourraient expliquer le manque de résultats de cette idée.
Savez-vous pourquoi il est recommandé de garder le dos droit ? Eh bien, ce n’est pas si évident. Historiquement, certains auteurs estiment que ce conseil remonte au milieu des années 1930 (4). Ce qui est assez cocasse, c’est que les raisons données à l’époque ont été remises en question et ce n’est que dans les années 90 que des arguments recevables ont été introduits à nouveau.
La plupart des yeux sont rivés sur le disque intervertébral, cette fameuse structure dans la colonne vertébrale entre les os qui vient lui donner sa mobilité et qui est à l’origine des très redoutées hernies discales.
Si les disques focalisent toute l’attention, c’est parce qu’ils pourraient être impliqués dans le déclenchement du mal de dos (5–8), même s’ils n’expliquent pas tout. Il ne faut pas oublier que peu importe ce à quoi ressemble le disque, on peut ne pas avoir mal (9).
Pour en savoir plus sur les disques intervertébraux, les hernies discales et les douleurs, vous pouvez consulter cet article.
La douleur au mouvement de la cheville après une entorse ne veut pas dire que le ligament s’abîme plus. En réalité, c’est juste un mécanisme de protection qui empêche de trop bouger spécialement pour lui laisser le temps de cicatriser. L’inflammation qui rend plus sensible va également aider à la cicatrisation puis va diminuer seule, souvent grâce aux mouvements progressifs qui vont mettre les fibres en tension, ce qui résultera en de plus belles fibres et la sécrétion d’hormones anti-inflammatoires. Tout ceci, c’est un peu comme le fait que mettre dans la tension dans les muscles donne des muscles plus gros et plus solides, même quand il vient d’être abimé.
Pour les « entorses » des disques, nous pouvons supposer que des mécanismes similaires, les mouvements douloureux ne sont pas proscrits. Cela expliquerait peut-être pourquoi donner le conseil de rester actif aux personnes qui viennent de déclencher un mal de dos améliore les résultats par rapport au conseil de se reposer(17).
Le conseil de rester actif n’aide pas davantage les sciatiques, mais n’est pas néfaste. Rester au lit entraînant potentiellement des problèmes de santé on peut tout de même conseiller de rester actif. L’activité physique intense a, quant à elle, des chances d’améliorer le fonctionnement des nerfs et de diminuer leur inflammation(18).
Les chercheurs, pour répondre à cette question, ont découpé des colonnes vertébrales de cadavres d’animaux (notamment des porcs) et parfois d’humains pour en extraire des segments mobiles constitués de 2 vertèbres, le disque intervertébral et parfois les ligaments autour, même s’il n’y avait plus les muscles.
Ils ont ensuite pris ces segments et soumis à diverses contraintes pour essayer de déclencher des blessures. De cette manière, ils ont pu tester différentes positions, différentes vitesses, différentes forces, différents nombres de répétitions pour voir dans quelles circonstances les disques sont plus vulnérables.
Avec ce genre de données il apparaît qu’une des manières les plus efficaces d’abîmer un disque c’est de faire une flexion et d’ajouter de la compression qui sont les conditions nécessaires pour faire des hernies discales(19,20).
Mais quand la colonne vertébrale est légèrement fléchie, le disque semble mieux supporter la charge envoyée par un coup sec que dans la position qu'on dit "neutre" Il y aurait plus souvent les "entorses" des disques dont nous avons parlé précédemment en position neutre (21)
On peut donc abîmer un disque en position fléchie, ou en position neutre, cela ne nous avance pas beaucoup dans notre recherche de la meilleure posture. Mais supposons que nous voulions éviter la hernie discale. Bien que celle-ci n’implique pas forcément de la douleur, elle implique plus d’ « entorses » dans le disque. Pour l’éviter, alors nous voulons éviter la flexion et la compression.
Si nous savons cela, pourquoi ne savons-nous pas alors quelle est la meilleure posture pour soulever une charge ? Eh bien, la vraie question est : dans quelles conditions de la vie réelle, avec toutes les vertèbres et tous les muscles, retrouvons-nous le plus fréquemment ces conditions de flexion et de compression ?
En réalité, toutes les manières de soulever font de la flexion et de la compression dans le dos, que nous plions les genoux, les hanches, peu importe. La colonne est toujours fléchie(22–24) et il y a toujours de la compression. Ce n’est pas pour rien que les conseils gestes et postures sont souvent dispensés avec des dessins et pas des photos.
Toutefois, essayer de limiter le dos rond diminue la quantité de flexion observée(24). Plus nous progressons en flexion, plus la force qui fait plier est grande et donc diminuer un tout petit peu la flexion en fin d’amplitude pourrait diminuer de beaucoup la force exercée(25).
Voilà à quoi ressemble une colonne en radiographie lors d’une flexion maximale.
Pour la compression, c’était le fait de soulever en se penchant en avant dos rond qui en générait le moins(26).
Il est important de note qu’il y ait beaucoup de variations selon l’objet à soulever. Par exemple, si vous soulevez une caisse de 15 kg qu’il est impossible de placer entre les jambes et qui a des poignées, alors soulever en pliant les genoux génèrera moins de compression que de se pencher en avant. C’est l’inverse qui se produit si jamais il faut attraper l’objet depuis le sol(27).
Vous l’avez compris, c’est compliqué et en plus de ça des alternatives existent. Par exemple, le fait d’adopter des positions intermédiaires comme la position que les pratiquants de force athlétique prennent pour soulever la barre du sol ou même de varier en laissant son corps faire sans trop réfléchir.
Il se pourrait que la variété soit la meilleure des idées d’un point de vue global(26) bien que la position des pratiquants de force athlétique semble intéressante également(27).
Nous avons déjà dit que de toute manière nous n’étions pas capables de l’éviter, mais nous pouvons toujours tenter de la minimiser. Essayer d’éviter le dos rond pourrait la diminuer.
Pourtant les études n’ont à l’heure actuelle pas indiqué de différence dans le risque de déclencher une douleur entre ceux qui soulèvent dos rond (objectivé à l’aide de matériel) et ceux qui tentent de le minimiser(28). D’ailleurs, les personnes qui ont des douleurs lombaires soulèvent moins souvent le dos rond(29,30).
Mais rappelez-vous ce que nous avons vu plus tôt, il n’y a pas que la flexion qui déclenche les petites entorses qui peuvent être à risque de douleur lombaire, donc il n’est pas vraiment étonnant que de limiter la flexion n’empêche pas la douleur lombaire.
Qu’en est-il de la sciatique qui est le plus souvent en lien avec une hernie discale et qui elle est le plus souvent retrouvée avec de la flexion dans les études sur les colonnes d’animaux ? Nous n’avons pas d’études comme pour le mal dans les lombaires où la flexion a été mesurée "précisément" avec des appareils. Par conséquent, il faut être prudent, mais il est vrai que travailler plus de 2 heures par jour penché en avant, donc supposément en flexion, augmentait le risque de sciatique selon une revue systématique(31).
L’augmentation de risque était du même ordre de grandeur que pour les gens qui marchent beaucoup, et heureusement, nous n’avons pas de campagne de promotion sur la bonne manière de marcher.
Et si tenter de diminuer la flexion posait un problème ? Un des risques qu’on peut trouver, c’est quand on n’a plus l’énergie dans les muscles qui maintiennent la position du dos. Quand ceux-ci fatiguent alors ils ne peuvent plus accompagner le mouvement et dans ce cas-là, les mouvements se font avec des pics de vitesse à risque de blessure(32).
Vous avez bien compris. Tout n’est pas noir ou blanc. Si nous avons beaucoup de tâches de soulever à réaliser, autant varier les positions en soulevant de temps en temps en se penchant en avant pour éviter que la fatigue n’arrive trop vite. De toute manière, nous n’avons probablement pas vraiment le choix.
Tout ce que nous avons vu plus tôt n’est valable que pour les gens qui vont bien avec des disques sains(33). Dès lors que le disque commence à avoir des changements, il réagit de manière imprévisible. Il existe même des personnes chez qui se pencher en avant vient faire disparaître la hernie discale en la rentrant dans le disque tandis que chez d’autres personnes ce sera le mouvement inverse qui produira cela(34).
Image tirée de Jinkins 2005 : Les deux hernies montrées par une flèche blanche à gauche en position neutre disparaissent à droite en flexion
Si vous avez donc des douleurs sciatiques, ou des problèmes de nerfs, il est donc important de faire une consultation avec un professionnel du mouvement comme le kinésithérapeute pour pouvoir vous aider à déterminer si vos disques entre les vertèbres sont impliqués et quels mouvements fonctionnent mieux pour votre situation personnelle.
Évidemment, cela ne vous aura peut-être pas échappé. Les conseils gestes et postures, c’est fatigant à suivre, on n’y pense pas toujours et ce n’est pas le réflexe qu’on emploie en premier.
Soulever en pliant les genoux active beaucoup plus de muscles dans le corps(32). Laisser son dos se plier pendant qu’on soulève permettrait de développer plus de force avec les muscles du dos(35). Laisser son cerveau décider de la posture à adopter permettrait d’aller plus vite(26).
Pas étonnant alors qu’au fur et à mesure des répétitions, les gens qui soulèvent en pliant les genoux ont tendance à finir par soulever en se penchant en avant(36).
Facile alors, si nous disons aux gens de ne pas se pencher en avant pour ramasser un objet, nous pourrons toujours blâmer la personne qui n’a pas utilisé la « bonne méthode » en cas de problème, même si cette « bonne méthode » est inapplicable. Certains auteurs font valoir le fait que l’environnement de travail joue beaucoup sur ce que doit faire l’individu et qu’il ne devrait donc pas y avoir une seule bonne manière de soulever(37).
En plus de l’environnement, chaque individu a ses propres variations anatomiques, ses propres formes des os, courbures et autres éléments physiques qui vont grandement influencer sa manière préférée de soulever(23).
Il reste quand même une bonne manière d’adapter l’individu et pas l’environnement : Le conditionnement physique. Créer du stress progressif dans les articulations et les tissus comme les muscles, les disques, les ligaments par du renforcement permet d’adapter le corps à ces stress. C’est ce que certains auteurs préconisent aujourd’hui (38). Il est peut-être plus réaliste d’essayer d’adapter le corps à toutes les situations possibles plutôt que d’essayer d’éviter certaines situations. L’avenir nous le dira.
Merci de nous avoir lu dans ce grand dossier.