En 1995, Ségolène ROYAL, alors ministre de l’Éducation nationale, a fait publier une circulaire fixant le poids du cartable à ne pas dépasser. Les chiffres, 10% du poids du corps de l’enfant, sont en moyenne 2 fois moins que ce que porte un collégien français à l’heure actuelle. Mais que se passe-t-il si jamais nos enfants dépassent ces chiffres ? La réponse va peut-être vous surprendre : probablement pas grand-chose… Passons en revue ce que nous savons sur le sujet.
Imaginez que vous êtes la personne qui doive décider pour tous les enfants français, quelle est la limite de poids du cartable à soulever, comment vous y prenez-vous ? Ce n’est pas facile de choisir. La méthode du pifomètre est certes à envisager mais pour éviter des épidémies de problèmes multiples, mieux vaut réfléchir en partant de notre savoir sur le sujet. Que savons-nous sur le poids du sac à dos ? Pas grand-chose.
En 2004, une variété d’études, donnant une variété de résultats ont permis à des chercheurs de proposer des limites de poids tout aussi variables. Sur 5 groupes de chercheurs proposant des limites, un groupe recommandait de fixer la limite à 10% du poids du corps, 2 groupes à 15% et 2 autres à 20% (1).
Ces recommandations se faisaient sur la base biomécanique que les enfants se penchaient plus en avant quand ils avaient un sac plus lourd. Cette trouvaille peut se comprendre de cette manière, plus il y a un poids dans le dos, plus le centre de gravité se déplace vers l’arrière et donc il faut le compenser en s’inclinant vers l’avant. Toutefois, à ce moment, on ne trouvait pas de données constantes sur le risque de douleur.
En 2009, dans une revue systématique (2), il était écrit que les études scientifiques n’ont pas encore produit les résultats qui permettraient d’approuver sans réserve des limites sûres protégeant tous les enfants.
En 2018, une revue systématique (3) rapportait que les données scientifiques n’indiquaient pas de lien entre le poids du cartable et le risque de déclencher des douleurs chez les enfants et les adolescents. Ces informations pourront changer ou non à l’avenir. Un autre papier contemporain (4) trouvait qu’il y avait bien des changements mécaniques au fait de porter un sac plus lourd et que cela se traduisait par un inconfort sur le moment, cela n’étant pas indicateur de problèmes douloureux à l’avenir. Enfin une revue encore plus récente indiquait que la limite des 10% n’était pas discriminante du risque de douleur (5). Peut-être que fixer une autre limite au hasard comme 25% du poids du corps donnerait de meilleurs résultats mais aujourd’hui rien ne permet d’affirmer s’il y a un poids qui crée un risque de douleur.
Et maintenant que vous devez décider avec toutes ces informations, que faites-vous ? Vous voyez qu’il y a eu un peu de controverse, mais que vraiment, il ne semble pas y avoir de lien évident avec le risque de douleur de dos. Mais peut-être que la perspective d’aller à l’encontre du conseil omniprésent dans les articles de journaux même à travers le monde et la perspective d’avoir des hordes de personnes en colère face à votre « inaction » avec potentiellement même des actions en justice à votre égard dans un avenir lointain ne vous réjouit guère.
Pourquoi pas alors reprendre la technique du pifomètre et fixer une recommandation un peu basse pour couvrir vos arrières au cas où la controverse se conclut dans un futur par des problèmes de dos que nous n’avions pas identifié ? Peut-être que cela ferait plus de mal que de bien…
Nous avons vu précédemment que le poids n’est pas un indicateur de futures douleurs chez les enfants, pourtant, si votre enfant vous dit que son sac est trop lourd, vous devriez probablement y porter attention.
En réalité, en parallèle du vrai poids du cartable, c’est la perception de lourdeur qui est un facteur de risque de déclencher des douleurs (3). De la même manière qu’un pratiquant de force athlétique n’aura pas les mêmes conséquences en soulevant un carton de 20 kilos qu’un homme sédentaire et inactif, tous les enfants n’ont probablement pas les mêmes capacités à porter leur sac.
Mais la perception va bien plus loin qu’une simple notion de capacité physique. Par exemple, un enfant aura l’impression que son cartable est plus lourd s’il a déjà des douleurs (6,7). Les croyances que le dos est fragile et que l’activité physique est dangereuse ont montré qu’elles influençaient le poids qu’une personne adulte est capable de soulever (8) et pourraient également tout à fait influencer cette perception.
Imaginez donc que nous répétions sans cesse à un enfant qu’il faut faire attention, que son cartable est trop lourd et qu’il faut protéger son dos, quel pourrait être le résultat sur sa perception ? Probablement que celui-ci se sentira moins capable de soulever et qu’il aura également peut-être l’impression que son sac est plus lourd.
Dans un monde qui se sédentarise de plus en plus et où les enfants ont perdu des capacités cardio-respiratoires par rapport aux années 80 (9), les quelques pourcents d’augmentation de l’effort engendrés par un sac un peu plus lourd(10) pendant les 20 minutes de la journée où l’enfant le porte ne vaudraient-elles pas le coup ?
De plus, certaines pensées vont modifier la relation des enfants à l’activité physique :
Ces pensées sont des exemples de croyances qui ont été mises en lien avec le fait de faire moins d’activité physique ou moins intensément. Ces associations ont été trouvées dans beaucoup de populations différentes (enfants ayant des pathologies, personnes âgées saines,...) (11–14). La manière dont nous communiquons est donc importante pour encourager à faire plus d’activité physique. Et c’est peut-être un des risques en communiquant extensivement sur le “danger” présumé des sacs d’école : créer de la sensation de fragilité chez les enfants.
En voulant éviter des risques de maux de dos, n’induisons-nous pas d’autres risques encore plus importants ? La fédération française de cardiologie a voulu passer un message similaire dans son spot « laissez-les tomber ».
Aujourd’hui, nous savons que les disques qui servent de coussin amortisseur entre les vertèbres pourraient devenir plus solides en étant soumis à de la charge répétée (15). Les pratiquants de sports avec des impacts comme la course à pied et des torsions de la colonne comme le basket ont donc potentiellement les disques plus épais et plus solides (16,17).
Les cellules qui permettent la meilleure adaptation de ces disques, les cellules notocordales, sont rarement retrouvées après l’adolescence chez l’humain (18). Ces cellules sont en effet les restes du développement embryonnaire et c'est pour cette raison qu'elles disparaissent en vieillissant et qu'elles sont si efficaces pour développer les disques. C’est donc probablement pendant l’enfance qu’il faut faire bouger et mettre du poids le plus possible pour avoir un dos très solide.
Il fut un temps, les défenseurs du sac d’école ultra léger citaient une étude non publiée dans la littérature scientifique retrouvant des petites anomalies sur les images des colonnes vertébrales des enfants. Cela les inquiétait beaucoup, mais fort heureusement, aujourd’hui nous savons grâce à une étude qui, elle, a été publiée et qui a suivi des enfants pendant 30 ans, que c’est tout à fait bénin et sans aucun lien avec d’éventuelles douleurs (19). Il n’y a donc même pas besoin de se creuser la tête pour savoir s’il y a un lien avec le poids du cartable ou non.
S’il a mal, cela ne veut pas dire que le problème vient du poids du sac. Prenons l’exemple du gel hydroalcoolique. Cela ne fait pas mal aux mains, mais lorsque nous avons des abrasions sur les mains, cela n’est pas très agréable. Pouvons-nous dire que le problème vienne du gel hydroalcoolique puisque quand nous n’en mettons pas ça ne fait pas mal ? Peut-être qu’il serait plus judicieux de dire que le problème vient plutôt de l’abrasion des mains puisque si nous mettons du citron ou de l’huile pimentée nous aurions tout aussi mal.
Pour le poids du sac à dos, c’est la meilleure explication que nous pouvons vous fournir à l’heure actuelle qui concilie à la fois l’observation que le sac déclenche des douleurs chez votre enfant mais qu’il n’y a pas de risque créé par le poids du sac à l’échelle de l’ensemble des enfants : le problème ne vient pas du sac en lui-même mais d’une conjonction de facteurs, comme le gel hydroalcoolique et les abrasions.
Si vous souhaitez faire en sorte que votre enfant n’ait pas mal et que vous vous sentez impuissant sur le poids du sac, peut-être que vous pouvez donc jouer sur les autres facteurs. C’est, en plus, une idée qui semble meilleure puisque d’autres situations que le sac à dos pourraient déclencher les douleurs. De quels facteurs parlons-nous ? Eh bien cela pourrait parfois être une simple sensibilité dans les muscles et les articulations. Cette sensibilité diminuerait en stimulant un peu ces tissus avec des exercices. Pour vous aider à y voir plus clair, un kinésithérapeute peut faire un bilan de votre enfant pour identifier ces facteurs.
Le poids du cartable ne semble pas impliqué dans les douleurs, mais le poids perçu si. Il convient donc de ne pas affirmer à un enfant que son sac est trop lourd mais de juste être à l’écoute de son ressenti. Pour favoriser le plus possible une meilleure perception, il serait surement aidant de l’encourager dans des activités pour lui donner un dos costaud, et ne pas lui véhiculer de la crainte mais plutôt de la réassurance.