Les voix de la rééducation #3
par Lucie Ghyselen le 20 févr. 2023 15:36:48
Est-ce que vous pouvez exposer votre parcours ?
Je m’appelle Thomas Osinski, je suis sorti d’une école de kiné sur Paris en 2009 (IFMK de la fondation EFOM Boris Dolto). Ensuite, je me suis spécialisé dans les troubles musculo squelettiques avec un parcours qu'on dit thérapie manuelle orthopédique, avec différentes formations en France ou à l'étranger.
En 2015, j'ai repris des études universitaires à Grenoble puis à Paris pour obtenir un master, où j'ai continué à préparer une thèse de doctorat soutenu en 2019 avec l'université Paris-Saclay. Ma thèse portait sur la douleur, je me suis éloigné des troubles musculo squelettiques, qui étaient mon premier champ de spécialisation, pour me concentrer sur la douleur de façon générale. Plus spécifiquement sur la douleur des patients blessés médullaires.
Depuis 2013, je suis également formateur en formation initiale pour les institut de formation pour les kinésithérapeutes et en formation continue aussi pour les kinés et podologues, depuis une dizaine d'années. J’enseigne sur la douleur, de façon générale mais assez orienté musculo squelettique et des éléments de raisonnement clinique, les statistiques, sur le choix des tests cliniques et un peu la méthodologie de recherche.
En parallèle, j’essaie de conserver autant que possible une pratique clinique soit dans un cabinet, soit à l'hôpital.
Qu'est ce qui vous a poussé à vous spécialiser dans ce domaine ?
Les troubles musculo squelettiques m’ont toujours intéressé : Le maux de dos, de bras ou autres. J’avais envie de comprendre le phénomène de la douleur et la perception corporelle qui en découle.
Les troubles musculo squelettiques et la douleur, sont les premiers motifs de consultation en libéral, donc de fil en aiguille, je me suis de plus en plus intéressé au sujet.
Quelles sont les pathologies plus traitées ?
Ce qu'on voit le plus c’est surtout les rachialgies, lombalgies, cervicalgies et les problèmes d'épaule qui sont très fréquents.
Je vois aussi certains syndromes douloureux particuliers comme le syndrome douloureux régional complexe, qu'on appelle aussi l’algoneurodystrophie. C’est un syndrome dans lequel les personnes ont généralement un traumatisme : une entorse de cheville ou une fracture du poignet, qui une fois cicatrisé reste toujours très douloureux.
On peut également rencontrer des patients souffrants de douleurs du membre fantômes suite à une amputation.
C’est notamment grâce à ma spécialisation que je suis à l’aise pour soigner ces types de patients.
Mais la grande majorité des cas tournent autour du rachitisme
Quelles sont les causes des symptômes douloureux ressentis par les patients ?
Pour déterminer la ou les causes, il faut réussir à comprendre ce qui provoque la perception douloureuse. Qu'est ce qui fait que le cerveau s'active pour qu'on perçoive une douleur?
Il faut savoir que la douleur est une perception consciente. C’est le même mécanisme que la faim ou la soif. Il faut donc réfléchir à quels mécanismes provoquent la douleur.
Il y a toujours une raison et ce qu’on peut retrouver dans la littérature, c'est qu'il peut y avoir une part liée à l’activité (le travail ou le sport par exemple), mais il y a aussi une petite part de génétique, notamment avec la dégénération des tissus ou un système qui est plus sensible. Surtout il y a une part non négligeable, voire prédominante selon les études de facteurs psycho cognitifs (comme la dépression ou l’anxiété).
Par exemple, nous avons autant de risque d'avoir des douleurs lombaires si une dégénérescence d'un disque (avec une hernie ou un hernie discale) qu’avec un trait dépressif, les deux sont à peu près équivalents.
En fin de compte, les phénomènes d’activité et de position ressortent, mais de manière beaucoup plus faibles.
Comment explique-t-on le lien entre dépression et dorsalgie ?
D'un point de vue physiologique, la dépression est corrélée à une diminution de sécrétion de sérotonine. C’est une des molécules qui joue sur l'inhibition des phénomènes douloureux. Donc c’est assez logique : l'organisme se met à moins bien fonctionner sur plein de choses et donc diminue ces sécrétions là.
On peut le résumer simplement par :
- je vais bien, j’ai envie de faire des choses, et je ne dois pas être parasité par plein d'informations.
vs
- je vais mal, je n’ai plus envie de faire les choses donc je me laisse parasiter par les informations
Fondamentalement, on retrouve une corrélation avec la sécrétion de sérotonine qui sont les mêmes. Et c'est pour ça que chez certains patients on donne des antidépresseurs à faible dose. Pas pour traiter une dépression en premier lieu, mais plutôt pour relancer la machine.
Qu’est ce que permet la kinésithérapie aux patients qui sont atteints de TMS ?
Un des intérêts de la kinésithérapie est d’utiliser le temps disponible pour prendre en compte les dimensions bio psycho social des patients. Souvent, ces consultations seront un peu plus longues et ses patients vont revenir plusieurs fois.
C’est dans notre intérêt de leur expliquer pourquoi on leur donne de l'exercice : pour changer l'état des tissus, pour guider la cicatrisation, leur physiologie, remettre de la contrainte, assouplir ou aider le mouvement.
En même temps, la discussion peut amener à un changement des facteurs psycho cognitifs des patients :
- On peut faire de l’éducation
- On peut rassurer
Sur l’impact social de la pathologie, nous avons une action moins directe, on a du mal à changer les relations avec la famille, les amis ou le travail. Mais on peut toujours aider la personne à analyser les choses de son environnement un peu différemment pour savoir se positionner et apprendre à les gérer.
En soi, on a des leviers d'action sur l'ensemble de ces dimensions.
A part des composantes génétiques ou de pathologies sévères qui seraient du ressort médical (une polyarthrite rhumatoïde ou autre), on ne va pas jouer sur la physiologie. Ce que l’on peut faire en revanche c’est jouer sur des phénomènes annexes.
Comme on sait que l'activité physique a un phénomène de régulation de l'immunité : c'est un des éléments qui va participer à réguler le système immunitaire dans ce type de situation.
Ça ne va évidemment pas résoudre le problème de la maladie auto-immune de la polyarthrite, mais on va pouvoir juguler ça, refaire de la sérotonine, de l’activité physique et pouvoir améliorer le phénomène douloureux.
On va pouvoir aussi faire des attelles de contention qui vont aider la personne à mettre au repos les articulations inflammées par la pathologie. On va pouvoir la rassurer et l'exposer graduellement aux choses pour qu'elle reprenne confiance en elle.
D’après moi, c'est souvent un peu l'alpha et l'oméga. Par exemple sur les problèmes d'arthrose du genou, on a des revues qui montrent bien que la rééducation avec de l’activité physique ou des mobilisation est au moins autant efficace, voire plus efficace que les traitements anti-inflammatoires ou les injections qui peuvent être donnés.
Pour moi, nous sommes au centre, en tout cas nous devrions être plus au centre.
Dans le dernier épisode, Thomas Davergne (spécialisé en rhumatologie ) nous a partagé que le temps de diagnostics est très long. Est-ce que c’est pareil ici ?
Le problème c’est qu’on est dans un cas un peu différent avec des classes nosologique comme la rachialgie, la cervicalgie ou la lombalgie, donc très large.
En fin de compte, tout commence par un “j’ai mal à cet endroit” et c'est une classe nosologique en soit. On peut établir un diagnostic médical mais qui sera pauvre et pas forcément aidant, pour nous en rééducation, ni pour le patient.
Par exemple si on prend la lombalgie, il y a plein de cause qui provoque une douleur dans le bas du dos :
- un changement au niveau d'un disque
- une fracture vertébrale
- un problème articulaire
- une contracture musculaire
- une pancréatite
- une prostatite
- un anévrisme aortique
- des douleurs menstruelles
- et j’en passe…
Le diagnostic médical “douleurs dans le bas du dos : lombalgie/rachialgie” est peu informatif en fin de compte.
Cela explique qu’il peut y avoir un délai entre le diagnostic et le traitement. Par exemple, dans une maladie inflammatoire comme la spondylarthrite ankylosante, un des premiers symptômes va être les douleurs lombaires. Donc au début, les patients vont avoir un diagnostic de lombalgie ce qui va créer un diagnostic tardif le temps de récolter suffisamment de marqueurs cliniques pour mettre ces patients dans la case rhumatologie.
💡Lire l'interview expert de Thomas Davergne sur la rhumatologie
Quelles sont les bonnes pratiques dans la prise en charge d’un patient douloureux, notamment chronique pour tenter de réduire le temps du diagnostic ? Ou durant le traitement, pour améliorer la qualité de vie de la personne.
Actuellement, on est passé de l’objectif d’augmenter l’espérance de vie à augmenter l’espérance de vie en bonne santé et donc augmenter la qualité de vie.
De mon point de vue, la première chose est d'avoir une évaluation qui prenne en compte les différentes dimensions du point de vue biologique de l’organisme, psycho cognitif et social. C'est d’ailleurs ce qui est recommandé dans les prise en charge des douleurs chroniques par les instances spécialisées dans le domaine.
La deuxième chose, c'est de comprendre les attentes des patients parce qu'on se rend compte qu'il y a un phénomène dit “syndrome iceberg”. C'est-à-dire que les patients, quand ils consultent, ne vont dire que le sommet de l’iceberg et passer sous silence le plus gros de symptômes. C’est en posant des questions qu’on se rend compte qu’un patient qui dit “je viens parce que j'ai mal au dos” veut dans un premier temps être rassuré, savoir qu’il y a rien de grave, comment ça va évoluer et ce qu’il peut faire lui-même.
Pour contourner ce syndrome iceberg, il faut savoir :
- Quels sont les éléments de motivation qui font que la personne est venue consulter
- Quelles sont les raisons pour lesquelles cette personne a besoin d’être rassurée sur son diagnostic
- Quels sont les antécédents
Un exemple rapide :
J’ai un ami à qui on a diagnostiqué un lymphome et pendant son traitement il a eu mal au dos. Sa première inquiétude était de savoir si c’était un signe de métastases qui commencent à taper dans le dos.
Pour un kiné, il est important d’avoir en tête que les choses peuvent être plus psychosociales. Les patients peuvent cacher des choses peut-être par politesse, par éducation, ils viennent rarement en disant j'ai peur de ça.
Suite à ça on peut aussi mieux adapter le traitement proposé, car les besoins vont être différents. Certains vont avoir besoin de faire de l’exercice, d’autres de faire de la manipulation, de l’éducation ou simplement besoin d’être là en support et d’écouter.
Comment vous voyez évoluer la kinésithérapie d’ici 5 à 10 ans sur le sujet ?
Alors, la version grand public : on va dire une évolution positive, et la version sincère plutôt pas très positive pour différentes raisons.
On constate actuellement que la plupart des formations s’universitarisent, dû principalement à un manque de moyen, l’université à tendance à chercher des troncs communs aux formations dans le but de donner un minimum de connaissance à tout le monde.
Il y a également peu de personnes qui ont un doctorat ou sont maîtres de conférence, ce qui complique la tâche des universités pour soutenir le niveau. Donc sur le court terme, ma vision n’est pas très optimiste.
C’est à relativiser car il y a aussi beaucoup de bonne volonté : il y a quand même de plus en plus de personnes qui se forment, qui ont été formées et qui ont envie d'enseigner.
On subit également des problèmes plus pragmatiques, quand on regarde sur le terrain.
Les kinés ont perdu 50% de leur pouvoir d’achat au cours de ces quarante dernières années. Dû à la fourchette de prise en charge des frais fixée par l’assurance maladie, qui rembourse la moitié et les 30% restants par les mutuelles.
Cette politique de remboursement entraîne donc des dépassements d’honoraires ou des séances multi patient…
Pensez-vous que la nouvelle loi à venir sur la télésurveillance va avoir un impact sur la kinésithérapie ?
C’est intéressant, puisque parfois les patients peuvent avoir du mal à se déplacer, ou ont du mal à trouver du temps. Des consultations à distance régulières vont permettre de changer les exercices, corriger la séance, discuter sur comment ça s’est passé, qu’est ce que ça a donné. Ce temps là peut très bien se faire en téléconsultation, et qui permettrait même de prendre ¼ d’heure au lieu de se voir une demie heure toutes les semaines. Pourquoi pas faire ¼ d’heure en début de semaine et ¼ d’heure en milieu de semaine pour permettre cet esprit de “coaching”.
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